Carnet de voyage #1 1


LE VAILLANT PETIT DINA

Le pare-brise éclaté en dizaines de morceaux rafistolés par de larges bandes de ruban adhésif, sortait de la rainure dépourvue de joints, oscillait de droite à gauche, de haut en bas, et je me disais que je n’aimerais pas être à la place du chauffeur et des trois passagers qui se trouvaient devant car c’était certain ce pare-brise allait tomber… Le chauffeur devant l’opacité du pare-brise sortait la tête par la vitre de gauche, aidé par le convoyeur qui lui sortait la tête à droite et lui donnait des conseils pour éviter les nids de poule très présents sur ce tronçon de route… Ce n’était plus des nids de poule mais des bauges de phacochères, profonds, larges, remplis de sable qui se soulevait à chaque passage et envahissait le petit véhicule qui peinait à avancer… ces nids étaient des dangers permanents pour les véhicules.

Quand j’étais montée dans ce véhicule j’avais compté 18 places avec les strapontins, et là nous étions déjà 27… Le chauffeur s’arrêtait pour faire monter encore et encore moyennant quelques francs, des passagers qui faute de nous faire tous déplacer, montaient par l’arrière en enjambant des cartons et autres sacs. La vitre arrière était remplacée par un bande de toile cirée et mon voisin de droite et moi-même avions dû surélever nos jambes sur deux bouteilles de gaz… A ma gauche le plancher usé laissait entrevoir la route qui défilait et là je constatais la profondeur des trous.. Sur les genoux d’une passagère une poule avait cessé depuis quelques minutes d’haleter pour trouver de l’air et de caqueter, elle avait rendu l’âme. L’enfant accroché au sein de sa mère dormait paisiblement… Nous étions serrés, nous ne pouvions pas bouger, un passager descendait de temps en temps ; deux autres entraient dans le véhicule et nous nous rapprochions encore un peu plus les uns des autres pour que le voyageur trop content de ne plus continuer à pieds puisse s’asseoir.

Les conversations allaient bon train, parfois en dialecte parfois en Français et je comprenais la teneur des avis des uns et des autres, sur les cultures, la sécheresse, le manque d’eau, moi aussi je prenais part aux conversations, acquiesçant leurs propos, alors dubitatifs les regards se tournaient vers moi, un sourire se dessinait sur les visages compatissants et luisants de sueur…

En face, sur la route déchiquetée un autre Dina tout aussi malade que le nôtre nous faisait de larges appels de phares et le convoyeur accroché sur le toit surchargé moulinait ses bras, simulait une trompe pour nous signaler la présence des éléphants un peu plus loin. D’éléphants il n’y avait que des traces, des branchages trônaient sur la route, un tronc arraché sur le bas-côté, mais les pachydermes étaient entrés en brousse sans attendre notre passage. J’avais constaté à plusieurs reprises qu’à chacun de mes déplacements, ils erraient dans la ville ou à proximité et quand je me présentais sur le présumé lieu de rencontre ils avaient promptement regagné la forêt, j’en concluais que ces animaux n’aiment pas les blancs. 🙂

(…suite en dessous)


Notre courageux petit Dina continuait paisiblement sa route, un panneau indiquait que la ville était à 33km, cela faisait déjà une heure que nous roulions et connaissant la route je me disais que ce panneau n’avait pas dû être planté à la bonne distance, car il restait tout au plus 20 minutes sur les 45km présumés entre les deux villes pour atteindre notre destination. Tous ces véhicules, peu importe la marque étaient des « FRANCE AU REVOIR »  même si ils avaient été acquis en Europe au Japon ou en Chine… ils étaient tous appelés des « FRANCE AU REVOIR« , sans doute du fait de la colonisation passée. Ils n’inspiraient pas la confiance ; la carrosserie multicolore, rapiécée, cabossée, traumatisée, fripée de toute part, parfois brûlée ressemblait plus à une épave qu’à un véhicule… mais les moteurs étaient bons, réparés par des apprentis mécaniciens formés sur le tas, l’essentiel était d’aller d’un point A à un point B, et si le moteur était en forme pourquoi attacher de l’importance à l’habitacle ?? C’était une bonne logique : le moteur était le plus important…Qu’importent les conditions de voyage…

Le conducteur expérimenté connaissait bien « sa route » il embrayait, accélérait, ralentissait, freinait, pilotait son engin telle une formule 1, caressant son volant de la main gauche, la main droite cramponnée au levier de vitesse. Il esquivait morceaux de pneus éclatés, et autres objets non identifiés, alors le moteur vrombissant, ronronnant comme un chat, laissait échapper un mince filet de fumée noire et odorante, mais le petit Dina à l’allure pitoyable dans un sursaut d’orgueil malgré sa carcasse crasseuse et cabossée, virevoltait, dansait, se cabrait , avalait les kilomètres en poursuivant fièrement son chemin. Mais parfois, aussi, il s’essoufflait à la moindre pente, râlait, toussait, repartait encore plus tenace et continuait coûte que coûte à avancer sur la route éventrée.

Le pare-brise ployait mais ne se brisait plus, recollé sans doute par du ruban adhésif de haute qualité !!! Ou alors par la volonté de DIEU, car sur ce même pare-brise : une citation « ON ARRIVERA SI DIEU LE VEUT » et un chapelet accroché au rétroviseur intérieur… la mise en confiance était là! Et il y avait eu tellement de navettes entre les deux villes sans aucun problème, une panne maintenant n’était même pas envisageable.  

Dans ces petits Dina, un kaléidoscope de couleurs, ça fleurait bon les épices, le karité que les femmes s’enduisaient largement sur le corps, les voyageurs ruisselaient, mais pour rien au monde je n’aurais voyagé dans un 4/4 climatisé avec de beaux sièges en cuir !!! L’Afrique c’était çà, le brassage d’Ethnies, de couleurs, de sons, de senteurs… et quoi de mieux pour prendre le pouls d’un pays que de voyager avec les moyens mis à disposition, d’observer, d’écouter, de comprendre et de se fondre dans la masse.

Cette fois-ci DIEU avait été clément et nous étions arrivés à destination ankylosés et dégoulinants de transpiration.  Nous avions du mal à descendre enjambant des cages, bidons et autres cartons posés sur le plancher… et là ; surprise… sur le toit du malheureux véhicule surchargé, il y avait environ 2 mètres de bagages en hauteur arrivés je ne sais comment si haut : des sacs de céréales, des tas de cartons indiquant savon et huile de palme… une moto, deux moutons debout entravés aux pattes, deux gamins qui somnolaient…

Déjà des passagers se pressaient pour monter, et le vaillant petit Dina reprenait sa route avec d’autres passagers tout aussi pressés de monter, de somnoler, de discuter, d’implorer l’instant d’un voyage de 45 kilomètres,  une pluie bienfaisante qui tardait à venir… alors je me disais que j’avais échappé au pire, ici la pluie quand elle arrivait, elle ne versait pas des larmes , mais des trombes d’eau déferlant en cascades; les pluies torrentielles alors balayaient tout sur leur passage… Alors sans essuie-glace, sans visibilité, le courageux petit Dina aurait beaucoup de difficultés pour avaler la route.

Ah l’AFRIQUE ! où l’imprévu l’emporte toujours sur le prévu… être là au bon moment, pour vivre intensément et partager des instants inoubliables ! Et je revenais sans cesse pour me gaver de ma dose d’imprévus, d’insolite, de situations hors du commun et de belles rencontres…

Ceci est le premier article de notre nouvelle rubrique Carnet de voyage : nous voulons a travers ces articles vous parler plus en détails de la culture, du patrimoine et du mode de vie burkinabé. Si vous êtes déjà allé au Burkina Faso et que vous souhaitez nous parler de votre voyage, n’hésitez pas à nous contacter par email : fassolepernay@gmail.com 


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Commentaire sur “Carnet de voyage #1

  • Romain

    Grâce à ce magnifique petit carnet de voyage, je me suis permis de rêver pendant quelques minutes et je m’y croyais déjà ou plutôt je m y voyais déjà!
    A quand d’autres parutions tout aussi épiques ?
    En tout cas félicitations